Au Nigeria, un projet de mariage de masse visant 100 orphelins a ravivé le débat national sur les normes religieuses et culturelles, après l’annulation de l’événement par un élu local face à de vives critiques.
Un projet controversé
Le projet initial, parrainé par un élu local de l’État du Niger, Abdulmalik Sarkindaji, devait se dérouler fin mai et concerner des orphelins ayant perdu des proches lors des attaques menées par des gangs armés, connus localement sous le terme de « bandits ». Ces attaques fréquentes plongent la région dans un climat d’insécurité omniprésent.
Les mariages de masse sont une pratique assez répandue dans le nord du Nigeria, une région où la majorité de la population est musulmane. Ils sont souvent utilisés comme un moyen de soutenir financièrement les plus démunis dans un pays où presque la moitié de la population vit avec moins de deux dollars par jour. Cependant, cette initiative a été annulée à la suite d’un tollé généralisé, porté par les préoccupations soulevées sur les normes religieuses et culturelles locales.
Réactions et critiques
La controverse autour du projet a été alimentée par les déclarations de la ministre de la Condition féminine, Uju Kennedy-Ohanenye. Elle a exprimé ses doutes sur l’âge des participants et le consentement au mariage, redoutant que certaines orphelines soient encore mineures ou exploitées à des fins lucratives. Elle a ainsi demandé une enquête approfondie et une injonction pour stopper l’évènement.
Lors d’une conférence de presse, Uju Kennedy-Ohanenye a déclaré : « C’est totalement inacceptable. J’ai fait une requête à la police (…) et j’ai déposé une demande d’injonction pour l’empêcher de faire ce qu’il a l’intention de faire ». Ces propos ont reçu une large médiatisation, exacerbant la polémique autour du projet.
Abiodun Essiet, femme politique et assistante spéciale de la présidence pour l’engagement communautaire, a également ajouté sa voix aux critiques. Elle a suggéré que les participantes devaient être intégrées à des programmes d’autonomisation plutôt que mariées précocement. Sur le réseau social X, elle a expliqué : « Je ne suis pas opposée au mariage des orphelins de plus de 18 ans s’ils donnent leur consentement au mariage, mais je suis contre le mariage des mineurs. Laissons les enfants être des enfants ».
Mise en pause « de bonne foi »
Face à cette avalanche de critiques, Abdulmalik Sarkindaji a annoncé qu’il suspendait le projet de mariage de masse. « Le mariage de ces orphelins est annulé. J’ai agi de bonne foi », a-t-il déclaré à la presse. Il a cependant déploré le manque de compréhension de la ministre de la Condition féminine envers les réalités et les nécessités de la région nord du Nigeria. Selon lui, la ministre, n’étant « pas originaire du nord », ne mesure pas l’ampleur des difficultés locales.
Sarkindaji a également évoqué le soutien qu’il a reçu d’organisations musulmanes, notamment l’organisation des imams du Nigeria. Ces groupes ont défendu son projet et condamné les critiques de la ministre, les qualifiant d’outrepassement de ses fonctions. « Nous pensons qu’elle a fait ces déclarations en tant que non-musulmane. Si elle était musulmane, elle n’aurait pas tenu ces propos », a déclaré Mahmud Lawal Murshid, président de la société des étudiants musulmans de l’État du Niger.
Précédents et tendances
Cette polémique s’inscrit dans un contexte plus large. En janvier, un autre élu nigérian de l’État de Borno, Muktar Aliyu Betara, avait parrainé un mariage collectif pour 180 jeunes filles âgées de 17 à 18 ans, dont les familles avaient été décimées par l’insurrection jihadiste. Betara avait couvert toutes les dépenses liées aux mariages, considérant cette aide comme nécessaire pour des familles aux ressources limitées.
De même, l’année dernière, l’État de Kano, dans le nord-ouest du Nigeria, avait financé un mariage collectif pour 1.800 couples, indiquant ainsi que cette pratique n’est pas isolée mais ancrée dans les démarches de solidarité communautaire.
Cette annulation met en lumière les tensions entre les traditions locales et les normes modernes. Comment un pays peut-il progresser tout en respectant ses valeurs culturelles, notamment lorsque ces dernières semblent entrer en conflit avec des préoccupations contemporaines?