Pour contrer la dérive autocratique d’Alpha Condé vers un troisième mandat présidentiel, Cellou Dalein Diallo devrait renoncer au boycott et déposer sa candidature. Cette dernière permettrait de faire barrage au chef de l’État, qui vient d’annoncer, ce lundi 31 août, qu’il serait candidat à l’élection présidentielle. Le président sortant fait l’objet de nombreuses critiques de la part de la communauté internationale, des associations de défense des droits de l’Homme et de l’ensemble de la population guinéenne.
Le scénario n’a, malheureusement, rien d’original. Comme dans 11 autres pays africains ces 20 dernières années, la Guinée a adopté le 1er mars dernier une nouvelle Constitution permettant à son président (depuis 2010), Alpha Condé, de briguer un troisième mandat à l’élection présidentielle du 18 octobre prochain. Aujourd’hui, la chose est confirmée : « Nous avons l’immense privilège et le bonheur d’informer la population guinéenne que celui-ci a accédé à notre demande. Le président Alpha Condé sera bien notre candidat à l’élection présidentielle du 18 octobre 2020 », déclarait aujourd’hui le directeur général du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), le parti au pouvoir.
Comme souvent, la révision constitutionnelle a pris la forme d’un référendum passé par la force, puis de l’adoption en début d’année d’une nouvelle Loi fondamentale. Face à la montée en puissance de la coalition des partis d’opposition, le pouvoir guinéen a multiplié les actes de violence envers les membres du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC). Lors des quatre mois précédant l’élection, pas moins de 37 militants ont été tués par les forces de l’ordre, déplore l’Organisation guinéenne des droits de l’Homme. En dix ans, ce sont près de 200 personnes qui auraient perdu la vie lors de manifestations selon les associations de défense des droits de l’Homme. En France, un collectif vient par ailleurs de déposer plainte contre Alpha Condé pour corruption, trafic d’influence et blanchiment de corruption.
Un référendum boycotté, une Constitution illégitime, une opposition muselée
À l’approche du référendum et des élections législatives du mois de mars, le fichier d’électeurs est passé d’un seul coup de 4 millions à 7,5 millions de personnes, dont plus d’un tiers sans pièce justificative. Interdits de rassemblement, les opposants au pouvoir ont boycotté le référendum qui, sans surprise, a vu le « oui » l’emporter à près de 90 %, autorisant Alpha Condé à se présenter à sa propre succession.
Cette élection n’a, toutefois, laissé personne dupe. La crédibilité du scrutin a notamment été remise en cause par l’Union européenne et les États-Unis, pourtant partenaires privilégiés de la Guinée. La Cédéao (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest) et l’Union africaine avaient, pour leur part, renoncé à envoyer leurs observateurs pour vérifier le bon déroulement du vote. Parmi la population, la colère gronde plus que jamais dans le pays malgré la forte répression gouvernementale.
L’usage excessif de la force s’abat sur les contestataires des quartiers populaires de Conakry, mais aussi sur les habitants des provinces qui ont le malheur de réclamer de l’électricité ou de dénoncer les différents rackets qui sévissent dans le pays. Les bavures des autorités sont d’autant plus graves qu’elles ont lieu en toute impunité. Les homicides des forces de l’ordre ne donnent en effet lieu à aucune enquête ; les hôpitaux publics ont pour ordre de ne pas soigner les victimes des manifestations ; et les contestataires sont surveillés, maltraités et arrêtés de manière arbitraire, rapporte ainsi Fabien Offner, chercheur à Amnesty International.
La moitié de la population vit sous le seuil de la pauvreté
Avec le Covid-19, l’État dispose désormais d’une excuse en or pour interdire les manifestations. Ce concours de circonstances n’empêche pas une grande partie de la population d’exprimer son refus d’un troisième mandat d’Alpha Condé ainsi que son désir d’alternance politique après deux mandats jugés calamiteux pour la démocratie et l’amélioration des conditions de vie. « Dix ans après l’élection d’Alpha Condé, il est temps pour les partisans des droits humains de faire le deuil de la Guinée promise et de prendre acte de la Guinée offerte », souligne Fabien Offner.
Contrairement aux promesses d’émancipation de l’ancien putschiste parvenu au pouvoir, l’économie du pays dépend désormais fortement de la Russie et de la Chine, qui s’y approvisionnent notamment en bauxite pour fabriquer de l’aluminium. Alors que le sous-sol guinéen regorge également d’or, de diamant, de fer, d’uranium ou encore de pétrole, la moitié de la population vit encore sous le seuil de pauvreté. La Guinée se classe en effet à la 213e place mondiale (sur 228 nations) pour l’indice de développement humain et à la 222e place pour le PIB/habitant.
Face au risque de voir Alpha Condé s’accrocher au pouvoir et rempiler pour cinq années supplémentaires, le FNDC a donc opté pour une stratégie de boycott du processus électoral et de contestation dans la rue. Mais ses échecs successifs ont contraint ses responsables à revoir leur mode opératoire. Plusieurs ont ainsi choisi de quitter le mouvement, comme Ali Badra Koné, ex-secrétaire général du bureau national de la jeunesse de l’UFR, ou l’artiste Elie Kamano, qui a fondé son propre parti politique (PGSD). D’autres ont choisi de rester fidèles à la ligne du FNDC, mais s’interrogent désormais sur sa pertinence, alors que la candidature d’Alpha Condé ne fait plus de doute.
La nécessaire candidature de cellou dalein diallo pour garantir l’alternance
En dépit d’arguments valables, notamment ceux de l’écrivain guinéen Tierno Monénembo, qui estime que la participation à un scrutin présidentiel face à l’actuel chef de l’État légitimerait le coup de force constitutionnel du mois de mars, l’opposition n’a d’autre choix que de se lancer dans la bataille pour faire barrage à ce qui ressemble de plus en plus à une confiscation du pouvoir. Appeler à boycotter l’élection présidentielle consisterait à se soustraire au jeu politique et aurait probablement pour conséquence le maintien du système en place pour une durée de cinq ans, si l’on en croit l’histoire récente des pays africains. L’opposition estime aujourd’hui devoir occuper le terrain afin d’être légitime pour peser dans l’inéluctable bataille post-électorale qui s’annonce. « Je suis contre un troisième mandat du président Alpha Condé. Mais il faut être réaliste, et ne pas pratiquer la politique de la chaise vide. J’irai à la présidentielle, avec ou sans Alpha Condé », assure ainsi Ousmane Kaba, du Parti des démocrates pour l’espoir (Pades) et membre du FNDC.
Cellou Dalein Diallo que tous les regards sont tournés. La principale figure de l’opposition était jusqu’à récemment opposée à l’idée de se présenter dans ces conditions, militant pour la mise en place préalable d’un scrutin libre et transparent. Cependant, la menace d’un troisième et – pourquoi pas – d’un quatrième mandat présidentiel ne semble pas lui laisser de choix. L’ex-premier ministre guinéen, à la tête de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), serait actuellement en réflexion sur l’opportunité de déclarer sa candidature avant la date limite du 8 septembre. Pour l’opposition, il s’agit, pour l’heure, du seul véritable espoir de changement et de renouvellement de la classe politique.