Cibles de fausses accusations prétendument lancées par une ONG fictive, une société pétrolière norvégienne est en bute depuis deux ans à des tentatives de déstabilisation pour l’empêcher d’investir en Tunisie. Une affaire rocambolesque qui éclabousse certains de ses hauts-fonctionnaires et membres de son personnel politique et illustre l’extrême dégradation du climat des affaires dans le pays qui est exsangue et proche de se « Libaniser ».
Fondée en 2009, Panoro Energy est une entreprise pétrolière et gazière indépendante, qui produit du pétrole au Gabon, au Nigeria et en Tunisie. Basée à Londres et cotée à la bourse d’Oslo, celle-ci est présidéeée depuis 2014 par Julien Balkany qui détient environ 5% du capital, un entrepreneur français qui a fait carrière dans le secteur de l’énergie.
En 2018, après un an et demi de recherche d’une opportunité d’investissement pour se diversifier , l’entreprise norvégienne s’implante dans le pays, en faisant l’acquisition des sociétés OMV Tunisia Upstream et DNO Tunisia AS. Une arrivée stratégique pour Panoro Energy, déjà présent sur le continent africain au Gabon et au Nigéria, devant se traduire par plusieurs dizaines de millions d’euros d’investissement dans le pays. Le rachat d’OMV Tunisia Upstream est la plus grosse transaction dans le secteur pétrolier depuis 2011 et le printemps arabe qui a balayé le régime de Ben Ali.
Dans le cercle très fermé des acteurs du pétrole tunisien, l’arrivée de Panoro Energy, devenu début 2019 la 4e société étrangère la plus importante dans le pays derrière Shell, ENI et le français Perenco, n’est cependant pas passée inaperçue. Bien au contraire : pour plusieurs acteurs en place, cette arrivée dans le paysage s’est traduite par des grincements de dents.
« Veronga Watch », fausse ONG, vraie diffamation
Pour conserver leur pré carré, certains d’entre eux ont manifestement choisi de franchir la ligne jaune. Depuis deux ans en effet, la société norvégienne est, bien malgré elle, victime d’une machination qui semble partager le même scénario qu’un mauvais film de série B, et qui a vu successivement à la manœuvre un ambassadeur démis depuis de ses fonctions pour corruption et un député proche des islamistes déjà condamné pour des faits de diffamation publique, s’abritant derrière le paravent d’une ONG fictive.
C’est au mois de juillet 2018 que les ennuis commencent pour Panoro Energy. Quelques semaines après l’annonce de son acquisition en Tunisie, le ministère des Affaires étrangères du pays reçoit un télégramme diplomatique de la part de son ambassadeur à Paris, Abdelaziz Rassaa. Dans celui-ci, le diplomate, fils de ministre et ancien ingénieur pétrolier qui a fait carrière au sein de l’Entreprise tunisienne d’activités pétrolières, fait part de soupçons concernant une « opération de blanchiment d’argent d’envergure » menée par la firme norvégienne et son dirigeant, Julien Balkany. Pour prouver ses dires, Abdelaziz Rassaa affirme tenir ses informations d’une association baptisée « Veronga Watch », et joint à son télégramme une lettre de 5 pages censé détailler l’affaire. Installée selon l’ambassadeur au 18 boulevard de la Madeleine à Paris, dans le très chic VIIIe arrondissement, Veronga Watch n’a pas seulement pignon sur rue : l’association possède aussi un nom qui évoque les ONG les plus prestigieuses, de Human Rights Watch à Oxfam. Seul hic : Veronga Watch n’a jamais existé et est une fraude. La prétendue ONG n’est pas enregistrée dans le répertoire national des associations françaises. Le courrier censé apporter la preuve irréfutable de la fraude, par ailleurs truffé d’erreurs factuelles, n’est pas même signé. Comble de la duperie : l’adresse de l’association apparaît elle aussi fictive, ce qu’une simple vérification sur un service comme les Pages Jaunes ou Google Maps, accessible en quelques clics, suffit à démontrer.
Abdelaziz Rassaa, manipulé ou manipulateur ?
Abdelaziz Rassaa a-t-il été trompé ou a-t-il sciemment cherché à manipuler son ministre de tutelle en usant d’un faux grossier ? De qui tenait-il en premier lieu ce faux document, ou pour le compte de qui en a-t-il fait usage ? L’ambassadeur n’aura jamais à s’en expliquer à son gouvernement. Fin 2019, Abdelaziz Rassaa a en effet été démis de ses fonctions par le Président de la Tunisie Kais Saied, après avoir été accusé de corruption au sein de l’ambassade de Tunisie à Paris par son comptable, qui l’a notamment accusé d’avoir falsifié plusieurs factures dans le cadre de ses fonctions. L’ancien diplomate n’est cependant pas quitte pour autant et devra vraisemblablement répondre de ses actes devant la justice française qui a décidé de le convoquer.
Après cette tentative avortée de déstabilisation, l’affaire aurait pu en rester là. En mars 2019 celle-ci connaît cependant un nouveau rebondissement. Dans un post publié sur sa page Facebook, le député tunisien Yassine Ayari reprend à son compte ces accusations mensongères à l’égard de Panoro Energy.
Une fausse lettre relayée par un député sulfureux, déjà condamné pour diffamation
Ancien blogueur, le parlementaire élu dans la circonscription des Tunisiens du Nord de la France est coutumier des invectives et des dérapages. Sa proximité avec les islamistes radicaux et sa sympathie assumée pour Daesh – il n’a pas hésité à se faire photographier avec le drapeau d’Al Qaida en décembre 2017 lui ont valu une réputation sulfureuse jusqu’en Europe. Yassine Ayari a également déjà été condamné pour diffamation en 2016 après qu’il ait publié sur les réseaux sociaux un faux document accusant le militant des droits de l’homme tunisien Hamma Hammami d’avoir reçu une voiture de luxe en cadeau de la part des Emirats arabes unis.
Cette condamnation ne semble pas avoir incité Yassine Ayari à faire un usage plus précautionneux de ses sources. Car pour appuyer ses accusations contre Panoro Energy, le député prétend avoir été saisi à son tour parr… Veronga Watch, la fausse association prétendument basée à Paris, dont le caractère fictif avait pourtant déjà été éventé. Malgré les preuves qui s’accumulent montrant le caractère fallacieux du document, Yassine Ayari refuse pour autant d’en démordre et fait un usage de faux en le publiant. Poursuivi à son tour pour diffamation publique par la justice française, celui-ci refuse de répondre de ses accusations et de s’expliquer sur les raisons qui l’ont poussé en premier lieu à relayer cette fausse lettre. Le parlementaire essaie de détourner l’attention du fond du dossier et affirme désormais être la victime de tentatives d’intimidation pour l’empêcher d’effectuer son travail de parlementaire sans toutefois admettre avoir relayé des informations mensongères et calomnieuses en premier lieu sur le réseaux sociaux. Pourquoi Yassine Ayari n’a-t-il pas fait son travail de vérification en s’assurant de la véracité de ses sources et des documents qu’il a publié ? Par aveuglement, jusqu’au boutisme, par cynisme ou pour d’autres raisons moins avouables ?
Depuis que la justice française a décidé de se saisir de l’affaire, plusieurs membres de la classe politique tunisienne, dans laquelle les islamistes radicaux exercent une influence prépondérante, ont décidé de faire bloc autour de Yassine Ayari. L’ex-député Ennadha, parti islamiste proche des frères musulmans, Ahmed Mechergui, aurait ainsi appelé l’ancien blogueur, déjà condamné pour diffamation, pour lui exprimer la solidarité de la présidence du Parlement, dont il est le chef de cabinet. En dépit de cette levée de boucliers, l’enquête policière devrait suivre son cours, et confirmer la tentative de déstabilisation à l’encontre de la société pétrolière norvégienne. L’implication de hauts-fonctionnaires tunisiens et possiblement de membres éminents de la classe politique du pays dans cette opération de manipulation et de diffamation laisse présager de l’ampleur du scandale qui ne manquera pas de survenir. Dans un pays qui peine à se trouver un avenir depuis 2011 et à attirer des investisseurs, tout en accusant de grandes difficultés économiques et sociales, l’affaire Veronga Watch illustre en tout cas le délitement d’une partie des élites du pays et de la dégradation du climat des affaires en Tunisie.