Le numéro deux mondial du tabac, British American Tobacco (BAT), vient d’être à nouveau accusé de corruption en Afrique, par la très respectée ONG STOP. BAT, qui est dirigée par le Français Jack Bowles, aurait corrompu, selon l’ONG des dizaines de responsables politiques, législateurs, fonctionnaires ou journalistes dans dix pays africains selon les milliers de documents internes révélés avec les journalistes du Bureau of Investigative Journalism.
L’Organisation Non Gouvernementale (ONG) STOP a été créée en 2018 par l’ancien maire de New York et philanthrope Michael Bloomberg, pour dénoncer les « stratégies trompeuses de l’industrie du tabac ». STOP est dirigée notamment par l’Université de Bath, dont les chercheurs sont considérés comme les meilleurs spécialistes des questions liées aux industriels du tabac et à leur lobbying comme en atteste leur base de données.
236 paiements qui relèveraient de la corruption
Au total, 236 « paiements douteux », pour reprendre la litote de STOP, auraient été effectués par BAT au Burundi, aux Comores, en RDC, au Kenya, au Malawi, au Rwanda, au Soudan, en Tanzanie, en Ouganda et en Zambie, auxquels il faut ajouter « le versement d’un pot-de-vin de 500 000 dollars versé en 2013 au parti de Robert Mugabe » au Zimbabwe.
Ces accusations de corruptions attribuées à BAT par STOP concernent 20% des pays africains, et ne seraient malheureusement que la face émergée de l’iceberg : BAT ne serait pas le seul cigarettier à corrompre dirigeants politiques et fonctionnaires et les 10 pays africains cités ne seraient pas les seuls touchés par la corruption conduite par le lobby du tabac. Comme dans d’autres secteurs, l’industrie du tabac est régulièrement soupçonnée de pratiquer la corruption via certaines de ses entreprises amies.
Contrebande et corruption liées, selon OCCRP
Il est difficile de ne pas établir un lien entre cette affaire et l’étude qui a récemment été conduite par le Consortium pour la Recherche Économique et Sociale (CRES), qui montre que les 15 pays de la CEDEAO perdent chaque année 700 milliards de francs CFA à cause du commerce parallèle de tabac.
Par ailleurs, l’OCCRP (“Organized Crime and Corruption Reporting Project”) – association à but non lucratif fondée en 2006, basée aux États-Unis et qui coordonne l’action de journalistes d’investigation de 34 pays d’Europe, d’Afrique, du Moyen-Orient, des États-Unis et d’Amérique latine – a dénoncé le rôle des quatre principaux industriels du tabac dans l’organisation des trafics de cigarettes, et le recours à la corruption pour empêcher les sanctions.
Les pays de la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) cibles des cigarettiers et de leurs alliés
Un article publié par l’association ACTA va plus loin en montrant que les cigarettiers et des entreprises qui leur seraient proches comme Inexto (qui vend le système Codentify conçu par Philip Morris International), Dentsu ou Atos tenteraient de convaincre les dirigeants des 15 pays de la CEDEAO d’adopter leur propre système de traçabilité pour lutter contre une contrebande… qui serait organisée, directement ou indirectement, par ces mêmes multinationales du tabac. C’est en effet dans cette partie de l’Afrique que les multinationales du tabac semblent avoir une emprise totale.
De nombreux États y ont adopté le système Codentify, en violation avec le droit de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), notamment le protocole pour éliminer le commerce illicite du tabac qui interdit que toute partenaire de l’industrie du tabac soit impliqué dans le système de lutte contre le commerce parallèle. L’Afrique de l’Ouest est aussi tristement célèbre pour héberger des organisations terroristes sanglantes qui se financent par les trafics de tabac.
Le Ghana : autre exemple de manipulation organisée par l’industrie du tabac ?
La situation que connait le Ghana est à cet égard révélatrice des pratiques du lobby du tabac. Le président de Media Alliance in Tobacco Control and Health (MATCOH), Jeorge Wilson Kingson, y a demandé une enquête sur les circonstances qui ont conduit à la suspension d’un contrat entre le gouvernement du Ghana et l’entreprise d’impression de sécurité De La Rue (DLR) du Royaume-Uni, fleuron industriel tricentenaire chargé de la production des billets de la couronne et du Common Wealth.
MATCOH est un groupe de professionnels des médias et de praticiens qui se consacrent à la lutte contre la prolifération, l’utilisation et la contrebande de tabac et de produits du tabac.
En septembre 2020, la Ghana Revenue Authority (GRA) avait signé un contrat de cinq ans avec De La Rue pour créer un système de suivi et de traçabilité par des timbres fiscaux afin de lutter contre le commerce illicite croissant des cigarettes. Cependant, des soupçons sont apparus lorsqu’il a été révélé que De La Rue sous-traitait une partie du contrat à Atos, une société informatique ayant des liens étroits avec l’industrie du tabac.
Une pratique similaire en Union Européenne, lorsque Delarue s’était vue discrétionnairement confier le marché de traçabilité du tabac par les autorités britanniques, et l’a sous-traité – déjà – à Atos. Un système européen de traçabilité considéré par tous les experts de santé publique comme non conforme au droit de l’OMS, mais que les cigarettiers tentent d’imposer avant la révision de la Directive des Produits du Tabac prévue par Bruxelles pour 2023.
De La Rue et Atos, faux-nez de l’industrie du tabac ?
Jeorge Wilson Kingson rappelle que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) exige des fournisseurs de systèmes de lutte contre le commerce illicite qu’ils soient indépendants de l’industrie du tabac. Il dénonce la manipulation qui consisterait à « rétrocéder » un marché gagné à une entreprise proche de l’industrie du tabac. A la croisée de la politique et des affaires, les industriels du tabac semblent rivaliser de méthodes pour maximiser la vente de leurs produits.
Déjà, l’abandon des poursuites du Serious Fraud Office britannique en janvier cette année, après quatre années d’enquête pour des faits de corruption de BAT en Afrique destinés à empêcher l’adoption des règles de l’OMS pour lutter contre le commerce parallèle de tabac, avait soulevé des soupçons d’arrangements politiques, alors que De La Rue multipliait les conquêtes des marchés de traçabilité. Avec les nouveaux cas de corruption mis au grand jour par l’affaire BAT, voici un autre exemple de vigilance pour les pays africains.
Et une série de contre-exemples, de l’Union Européenne au Royaume-Uni en particulier, que les États africains seraient bien inspirés de ne pas suivre, s’ils comptent sécuriser leurs recettes fiscales et engager les moyens nécessaires de lutte contre le terrorisme.
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