Malgré les accusations de plus en plus nombreuses qui incriminent le traitement infligé par Pékin à sa minorité musulmane ouïghoure, la Guinée Conakry, pays majoritairement musulman, a choisi de rejoindre le camp de la Chine en balayant des « allégations non fondées ». Aveuglement ou calcul cynique ?
Alors que des voix s’élèvent demandant à la Cour pénale internationale d’enquêter sur le « génocide » des Ouïghours par Pékin, plusieurs pays africains ont exprimé un soutien sans faille à la Chine sur le sujet. C’est notamment de la Guinée-Conakry d’Alpha Condé qui s’est associée à 45 autres État lors de la 44e session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU pour rejeter des « allégations non fondées contre la Chine ». Et ce malgré les nombreux rapports d’ONG qui estiment qu’un million de musulmans seraient détenus dans des camps d’internement situés dans la province chinoise du Xinjiang.
Ce soutien de la diplomatie guinéenne interroge, alors que plus de 88 % de la population du pays est de confession musulmane, que son président Alpha Condé n’hésite pas à témoigner de sa foi publiquement et que les preuves accablantes de mauvais traitements à l’égard de cette minorité religieuse et ethnique se multiplient. Dernièrement, les douanes américaines ont accusé l’entreprise chinoise Lop County Meixin Hair Product d’être l’organisateur d’un trafic de cheveux humains en recourant au travail forcé et carcéral, y compris de la part d’enfants. Le magazine en ligne Vice a également publié un reportage en juin dernier accusant la Chine d’organiser un trafic d’organes humains prélevés sur des prisonniers ouïghours. 80 000 d’entre eux auraient été également transférés par les autorités chinoises dans d’autres provinces pour travailler de force pour le compte de grandes entreprises internationales.
Un pacte avec le diable
La présidence guinéenne apparaît faire peu de cas de ces accusations, et balayer ces allégations pourtant prises très au sérieux par la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, les États-Unis, la Suisse ou encore le Canada. Une position à contre-courant qui s’éclaire à la lumière des liens de plus en plus resserrés qui unissent Pékin et Conakry. La Chine a ainsi assuré Alpha Condé de son soutien lors du vote du référendum constitutionnel du 22 mars, destiné à permettre au chef d’Etat de rempiler pour un 3e mandat, malgré le boycott de l’opposition et les importantes contestations qui se sont ensuivies après le scrutin. Pékin s’est par ailleurs montré très généreuse tout au long du mandat du président guinéen, octroyant à la Guinée plusieurs milliards d’euros de contrat, et plusieurs chargements d’aide médicale depuis le début de la crise du Covid-19. L’ambassadeur chinois dans le pays Huang Wei se montre également particulièrement proche du pouvoir, multipliant les poignées de main avec les membres du gouvernement et avec le président du pays lui-même.
Cette considération et cette générosité sont largement payées de retour, puisqu’Alpha Condé se montre dithyrambique vis-à-vis de la Chine et multiplie les voyages dans l’Empire du Milieu. Dans le même temps, nombreuses sont les autorités religieuses du pays qui, comme le grand imam de Conakry Elhadj Mamadou Saliou Camara, se sont également converties à la realpolitik et continuent d’observer un silence gêné sur le traitement de leurs coreligionnaires en Chine.
L’exemple de la Guinée Conakry illustre le glissement de nombreux pays africains vers la Chine. Un pacte avec le diable qui souligne dans le même temps l’ampleur des divergences qui travaillent le monde musulman. Des divisions qui l’empêchent de parler d’une même voix, lorsqu’il s’agit notamment de réaffirmer la liberté des musulmans à pratiquer leur foi librement à travers le monde sans craindre la répression.