Un modèle d’exportation à bout de souffle
La filière coton ivoirienne repose historiquement sur l’exportation de la fibre à l’état brut. Cette logique, qui privée le pays des retombées de la transformation industrielle, est remise en question. « Notre pays doit transformer davantage ses matières premières localement. C’est un levier de création de richesse, mais aussi une nécessité pour notre indépendance économique », affirme M. Kagnassi. Cette approche rejoint les objectifs du Plan National de Développement (PND 2021-2025), qui prône une industrialisation accrue du tissu agricole ivoirien.
L’exportation brute place la Côte d’Ivoire dans une position de fournisseur primaire, sans pouvoir de négociation sur les prix. En ne captant qu’une faible part de la valeur générée dans les chaînes textiles mondiales, le pays s’expose à une forte vulnérabilité aux fluctuations du marché.
Relancer la filière après la crise du jasside
La crise du jasside, cet insecte ravageur ayant causé des pertes massives depuis 2022, a mis à nu la vulnérabilité du secteur. Le Premier ministre ivoirien parlait alors de « drame national ». Pour autant, la campagne 2024-2025 s’annonce encourageante, avec une nette reprise de la production. Cette relance est perçue comme une opportunité de restructuration en profondeur.
Dans ce contexte, le renforcement des chaînes locales de transformation pourrait également agir comme filet de sécurité en période de crise. Un tissu industriel enraciné dans les zones rurales offrirait davantage de résilience face aux aléas climatiques ou sanitaires.
La transformation locale, vecteur de valeur ajoutée
Le coton incarne un enjeu central dans la volonté de développer une chaîne de valeur locale. « Ce sont les étapes de transformation qui concentrent la valeur ajoutée, les emplois qualifiés et l’innovation », défend Sidi Mohamed Kagnassi. L’objectif affiché par l’État est ambitieux : transformer localement 50 % de la production d’ici 2030. À ce jour, seule une fraction de la production est égrenée et utilisée localement. Le reste alimente les industries textiles asiatiques ou européennes.
Selon les données de la FAO, chaque tonne de coton brut transformée localement génère jusqu’à cinq fois plus de revenus qu’une tonne exportée à l’état brut. À l’échelle nationale, cela représente un potentiel de plusieurs centaines de millions de dollars de gains annuels pour l’économie ivoirienne.
Un pari sur l’emploi et la formation
Les bénéfices d’une industrialisation locale vont bien au-delà de la simple valorisation du coton. L’installation d’unités de transformation dans les régions productrices permettrait de réduire les coûts logistiques, de garantir une meilleure visibilité aux producteurs et de créer des emplois qualifiés.
« Quand un agriculteur vend sa récolte à une usine de la même région, il réduit ses coûts logistiques, il gagne en visibilité, en régularité, et souvent en revenus », souligne M. Kagnassi. En outre, cela permet de favoriser des pratiques agricoles plus durables, en facilitant l’accès à la formation et à l’encadrement technique.
Selon une étude de l’UNIDO, chaque emploi créé dans la transformation du coton peut en générer jusqu’à trois supplémentaires dans les secteurs connexes : transport, logistique, maintenance, etc.
Structurer une filière textile nationale
Derrière la volonté de transformation se dessine aussi une ambition textile. « Je rêve qu’un jour notre coton cesse de partir à l’étranger sous forme de balle brute, mais soit utilisé ici-même pour fabriquer des vêtements, des tissus, des produits finis de qualité », déclare-t-il. La Côte d’Ivoire importe encore une grande part de ses produits textiles alors même qu’elle dispose de la matière première. Cela crée un paradoxe économique auquel la mise en place d’une filière textile locale pourrait répondre.
L’essor d’une industrie textile intégrée permettrait à la fois de satisfaire le marché national, de réduire la facture d’importation et de se positionner sur des segments à forte valeur, comme le coton bio ou le textile technique. Des coopératives de couturiers et de PME locales pourraient être les bénéficiaires directes d’une telle stratégie.
Une politique publique en soutien
Le PND encourage la création de zones agro-industrielles à Yamoussoukro, Korhogo et Bouaké. Le Conseil du coton et de l’anacarde multiplie les initiatives à l’international : participation au Salon international de l’agriculture à Paris, présence à la World Cashew Conference à Dubaï. Objectif : attirer des partenaires pour cofinancer cette montée en puissance industrielle.
Le gouvernement ivoirien a également annoncé en début d’année une ligne de crédit de 50 milliards de FCFA pour soutenir les industriels engagés dans la transformation du coton, ainsi que des exonérations fiscales ciblées.
Un chantier à défis multiples
L’industrialisation du coton suppose des investissements lourds, mais également une coopération étroite entre secteur public et privé. « Cela demandera des financements, de la formation, et un vrai partenariat public-privé. Mais le retour sur investissement sera rapide », avance Sidi Mohamed Kagnassi. Ce chantier implique également une gouvernance adaptée, capable de coordonner les différents maillons de la chaîne.
Les obstacles restent nombreux : déficit en infrastructures, coût de l’énergie, accès au financement, compétence technique. Pour les surmonter, une stratégie concertée s’impose, impliquant les collectivités locales, les bailleurs de fonds et les acteurs du secteur.
Un levier de souveraineté économique
La transformation locale du coton s’impose comme un axe stratégique pour la Côte d’Ivoire. Au-delà des enjeux industriels, elle pose la question de la maîtrise des filières de valeur, de la réduction de la dépendance extérieure et du renforcement du tissu économique national. Comme le conclut Sidi Mohamed Kagnassi : « Favoriser le made in Côte d’Ivoire pour les produits en coton, c’est s’assurer que toute la valeur ajoutée revient à l’économie réelle de la Côte d’Ivoire ».
Plus qu’une ambition industrielle, la transformation du coton s’inscrit dans une volonté politique de bâtir un modèle de développement fondé sur les ressources locales, la compétitivité régionale et l’inclusion économique. C’est en ce sens qu’elle représente un véritable enjeu de souveraineté.
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Bravo à Sidi Mohamed Kagnassi pour cette vision audacieuse ! 😊
Je me demande si le gouvernement est vraiment prêt à investir autant pour transformer la filière coton ? 🤔
Pourquoi ne pas avoir pensé à cette stratégie plus tôt ? Ça semble tellement évident maintenant.
La crise du jasside a vraiment été un coup dur… espérons que les mesures actuelles porteront leurs fruits.
Je suis sceptique quant à la capacité de la Côte d’Ivoire à atteindre ces objectifs ambitieux d’ici 2030.
En tant que producteur de coton, je suis enthousiaste à l’idée de vendre localement et de réduire mes coûts logistiques !
Merci, M. Kagnassi, pour votre engagement envers la transformation économique de notre pays. 🙏