Les objets pillés par les Britanniques à l’époque coloniale ont été restitués au Ghana et sont déjà exposés au public. Alors pourquoi met-il autant de temps au Nigeria pour exposer ses trésors restitués ?
Une cérémonie émotive au Ghana
Le 12 avril, un convoi exceptionnel défilait sur l’une des routes les plus fréquentées du Ghana, reliant la capitale, Accra, à Kumasi, au centre du pays. La police escortait précautionneusement une camionnette contenant des caisses de grande valeur : 32 pièces d’or et d’argent pillées lors de l’invasion britannique des terres Asante en 1874 et 1896.
Le roi actuel, Otumfuo Osei Tutu II, supervisait personnellement le déballage de ces trésors. « Ces objets volés et pillés représentent l’âme même d’Asante », déclarait-il en mai lors de la cérémonie d’exposition publique au musée du palais de Manhyia. Bien que la restitution ne soit que partielle, elle incarne une victoire pour le peuple Asante qui exigeait depuis longtemps le retour de ces artefacts.
Une bataille diplomatique ardue
Ivor Agyeman-Duah, directeur du musée du palais Manhyia et acteur clé des négociations de restitution, restait vigilant durant tout le trajet. Homme de calme et de finesse, il a dû affronter de nombreux obstacles, y compris les restrictions imposées par la législation britannique, qui empêchent une restitution définitive des objets.
Par conséquent, les pièces sont retournées au Ghana sous forme de prêt à long terme, une solution acceptée par Agyeman-Duah malgré les critiques. Célèbre cinéaste ghanéen, Nii Kwate Owoo qualifie cette démarche de « pilule amère », arguant qu’un véritable voleur ne devrait pas masquer son acte en accordant un prêt.
Le dilemme nigérian
Alors que le Ghana expose déjà ses trésors retrouvés, le Nigeria n’a toujours pas ouvert les caisses contenant les bronzes béninois restitués. En 2022, la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, remettait 22 objets au gouvernement nigérian, un geste qualifié de « mesure attendue depuis longtemps ». Pourtant, un an et demi a passé sans que ces artefacts ne soient présentés au public.
Des divergences entre la Commission nationale des musées et monuments du Nigeria (NCMM) et le palais de l’Oba, ainsi que des controverses autour du Musée royal du Bénin, compliquent la situation. Ajoutons à cela une longue période d’instabilité politique due aux élections, qui retarde la nomination des nouveaux ministres et du chef du NCMM.
Défis logistiques et financiers
Le NCMM investit actuellement dans une nouvelle installation de stockage à Benin City, justifiée par la nécessité de garantir la sécurité des objets retournés. Parallèlement, un autre projet local, le Musée d’art de l’Afrique de l’Ouest (MOWAA), doit ouvrir ses portes en novembre mais a évité de s’impliquer dans les débats autour des bronzes.
Ces tensions internes nigérianes provoquent des hésitations parmi les musées occidentaux, certains ralentissant ou interrompant le processus de transfert de propriété des bronzes béninois. Le Groupe de dialogue du Bénin, assemblée réunissant des musées nigérians et occidentaux pour discuter des bronzes, a reporté sa réunion initialement prévue à ce mois, à 2025.
Le Ghana plus serein
À l’inverse, la situation au Ghana semble plus propice à des accords rapides entre les parties concernées. Le gouvernement ghanéen, tout en étant informé des arrangements, a laissé le musée privé du palais Manhyia piloter les négociations, ce qui a permis une réduction significative des lourdeurs administratives.
En février, le musée Fowler de l’Université de Californie a restitué de manière permanente sept objets d’or Asante, désormais exposés à Manhyia. Agyeman-Duah espère ainsi doubler le nombre de visiteurs du musée dans l’année à venir. Il négocie actuellement d’autres restitutions avec la Wellcome Collection au Royaume-Uni et AngloGold Ashanti en Afrique du Sud.
Les enjeux d’une restitution
Pour Agyeman-Duah, la véritable réussite réside dans la capacité des Ghanéens à profiter de ces objets exceptionnels, qu’ils soient retournés sous forme de prêt ou de manière définitive. « Montrons à nos enfants ces merveilles et disons-leur : ‘Vos ancêtres ont réalisé ces chefs-d’œuvre’. Cela pourrait les inspirer à créer à leur tour », préconise-t-il.
La question demeure : au-delà des tensions internes et des obstacles politico-juridiques, quand verrons-nous ces trésors enfin exposés au Nigeria ?