Dans un pays africain reconnu pour la stabilité de sa démocratie et ses alternances politiques pacifiques, les récents scandales financiers qui touchent la classe politique au Ghana fragilisent un processus électoral qui faisait jusque-là la fierté de tout un pays.
Dans le petit monde politique ghanéen, il flotte comme un parfum de revanche. Le pays se prépare, dans une atmosphère explosive et fiévreuse, à sa prochaine élection présidentielle, qui se tiendra le 7 décembre 2020. Depuis 2016, le pays d’Afrique de l’Ouest est dirigé par Nana Akufo-Addo, le leader du Nouveau Parti Patriotique (NPP). Candidat à sa propre succession, l’actuel président ghanéen sera opposé à John Mahama, du Congrès démocratique national (NDC). Or, voilà quatre longues années que ce dernier ronge son frein dans l’opposition après avoir perdu le pouvoir… face à l’actuel Président sortant. Le duel présidentiel a donc comme un air de « déjà-vu ».
Les électeurs ghanéens, qui choisiront également leurs députés le jour du premier tour, devront donc arbitrer entre deux hommes ayant, chacun et successivement, exercé la magistrature suprême, conférant à ce scrutin l’allure d’un combat personnel entre les deux principaux candidats. En cas de victoire du NDC, une nouvelle alternance politique se produirait donc — mais sera-t-elle aussi pacifique que celle de 2016, quand le président sortant Mahama avait, rapidement et démocratiquement concédé la victoire son rival Nana Afuko-Addo ?
L’affaire des jumelles embarrasse le pouvoir
Rien n’est moins sûr. En effet, le climat politique s’est considérablement dégradé ces derniers mois à Accra et la classe politique ghanéenne se débat dans les méandres d’affaires politico-financières qui ternissent gravement sa réputation. Une succession de scandales politico-judiciaires qui crispent les deux camps, chacun accusant l’autre d’instrumentaliser la presse et la justice à quelques mois des élections.
Ainsi, le NPP, le parti au pouvoir, est actuellement éclaboussé par l’affaire dite des « jumelles infrarouges » : les forces armées ghanéennes (Ghana Armed Forces) ont fait l’acquisition de 1 500 de ces instruments de vision nocturne, pour un coût, exorbitant, de 6 850 dollars américains pièce — le même matériel s’achetant dans le commerce pour 500 dollars la paire. Le montant total de la transaction dépasse les 22 millions de dollars.
Au-delà des questions relatives au coût et à la légitimité même d’une telle commande, sévèrement dénoncées dans un rapport du comité des finances du Parlement ghanéen publié au cours de l’été 2019, ce sont les conditions dans lesquelles l’opération s’est déroulée qui indignent l’opinion publique ghanéenne. Les jumelles ont, en effet, été vendues à l’armée par un certain François Gontier, un homme d’affaires à la réputation sulfureuse, dont les louches activités mêlent, en Afrique, les montages financiers douteux au commerce de matières premières — et notamment de pierres précieuses.
Le sulfureux François Gontier
C’est « Africa Intelligence » qui a révélé l’affaire il y a quelques jours : c’est via une holding luxembourgeoise qu’il préside et a fondé depuis peu, la Financière Duc – dotée d’un capital de seulement 12 000 euros et n’ayant, avant la vente des jumelles au Ghana, jamais réalisé la moindre opération commerciale – que François Gontier a refourgué ses très chers instruments de vision nocturne à l’armée ghanéenne. Pour se faire, l’homme d’affaires a bénéficié de l’entremise d’un autre businessman, Nicky Wilson, lui-même proche du NPP, proximité qui a manifestement ouvert des passe-droits à Gontier dans les hautes sphères ghanéennes. Contre l’avis de l’Autorité des marchés publics du pays, le ministère de la défense ghanéen s’est ainsi étrangement opposé à demander une ristourne de 5 % sur le prix des jumelles — ce qui aurait tout de même fait passer leur montant de 22,08 à 20,97 millions de dollars.
Une jolie-plus-value injustifiée et une transaction plus que louche : l’État ghanéen s’est-il fait purement et simplement arnaquer ? Ces combinaisons financières masquent-elles des rétrocommissions ? La presse ghanéenne enquête et l’étau se resserre désormais autour de François Gontier et de son étrange société, la Financière Duc.
L’opposition elle aussi fragilisée par de vieilles affaires de corruption
L’affaire des jumelles tombe donc au plus mauvais moment pour le parti au pouvoir (le NPP) et son candidat, le président Nana Akufo-Addo. Le gouvernement pourra néanmoins se consoler en faisant valoir que son principal opposant, le NDC est, lui aussi, embourbé dans une ténébreuse affaire de commissions occultes, là aussi dans le domaine de la Défense.
Des proches de l’ancien président Mahama sont en effet incriminés dans une enquête portant sur des soupçons de corruption entourant la vente de plusieurs avions de transport militaires au Ghana par Airbus. En 2010, l’avionneur européen aurait approché le frère l’ex-chef d’État, Samuel Adam Mahara, pour servir d’intermédiaire dans la transaction. Un « appui » pour intervenir auprès de son frère moyennant une commission de près de 5 millions d’euros selon les autorités américaines qui enquêtent sur l’affaire. Des révélations qui font l’effet d’une véritable « bombe politique » et fragilisent la campagne d’un candidat ayant, comble de l’ironie, fait de la lutte contre la corruption l’un des piliers de son programme. Entre Charybde et Scylla, les électeurs ghanéens devront pourtant choisir…
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