Jusqu’à présent destinée, selon toute vraisemblance, à écarter les membres de l’opposition béninoise, la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET), créée par le chef de l’Etat, Patrice Talon, en août 2018, vient de condamner le « favori du roi », Modeste Toboula, à 1 an de prison ferme dans une affaire de corruption. Le signe d’un tournant paranoïaque du pouvoir ?
Le Bénin n’est pas au bout de ses surprises. L’Etat ouest-africain, réputé pour son respect des valeurs démocratiques et libérales depuis une vingtaine d’années, vient de faire un pas sérieux vers l’autoritarisme, après que tous les sièges mis aux voix lors des élections législatives du 28 avril dernier ont été remportés par deux partis pro-régime. Les seuls à avoir été autorisés à participer au scrutin, grâce à un tour de passe-passe politico-administratif orchestré par le chef de l’Etat, Patrice Talon, soupçonné de vouloir rester un peu plus longtemps à la tête du pays. A présent, il se pourrait même que ce dernier – à la tête, désormais, d’une « démocrature », selon le terme consacré –, cherche à purger les rangs de ses proches historiques. Ou comment mettre définitivement la main sur le pays ?
« Neutraliser toute voix opposée »
La Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET) vient de rendre son verdict dans le procès dit du « bradage d’un domaine d’utilité publique », condamnant Modeste Toboula, ancien préfet du Littoral (département englobant la seule capitale économique du Bénin, Cotonou), à 12 mois de prison fermes et 2 millions de francs CFA d’amende. Cet homme du « système Talon », mis en cause pour « abus de fonction » dans cette affaire d’achat/vente d’une parcelle de territoire étatique, était pourtant considéré comme le « favori du roi » ; tout au long du procès, il a d’ailleurs dit et redit avoir agi selon les instructions du gouvernement. Selon son avocat, l’infraction commise n’était même pas « légalement […] constituée ». « La Cour a été très sévère », regrette-t-il.
De quoi redonner vie, en tout cas, aux soupçons de collusions entre la CRIET et le pouvoir, qui semblent fonctionner main dans la main depuis que les autorités béninoises ont créé de toute pièce cette énigmatique Cour de répression en août 2018. Un tribunal perçu, ni plus ni moins, comme le bras judiciaire d’un régime qui avait pourtant promis, lors de l’élection de Patrice Talon en 2016, l’avènement d’une justice indépendante. Raté, donc. Ce coup fatal porté à la séparation des pouvoirs – base de l’Etat de droit – a d’ailleurs été souligné en mars dernier par la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP), saisie par les avocats de Sébastien Ajavon, homme d’affaires béninois et opposant, dont les droits fondamentaux à un procès équitable ont été « violés », selon la Cour africaine.
En décembre dernier, déjà, le journaliste Ariel Gbaguidi voyait dans la CRIET une « justice superpuissante prête à neutraliser toute voix opposée à celle du chef de l’Etat et à empêcher toute compétition politique », quitte à « affaiblir l’Etat de droit et, in fine, la démocratie » béninoise. Dès le renouvellement des membres de la Cour constitutionnelle du Bénin, début 2018, les menaces liées à une instrumentalisation politique de la justice étaient grandes. Patrice Talon avait alors décidé de mettre à sa tête l’ex-ministre de la Justice, Joseph Djogbenou, ni plus ni moins que son avocat personnel. Fait nouveau, en revanche, l’emprisonnement de Modeste Toboula laisse à penser que le président béninois se servirait désormais de la CRIET pour atteindre ses propres partisans.
Climat de paranoïa
Exit, par conséquent, les Bruno Amoussou, Olivier Boko et autres Johannes Dagnon, fidèles parmi les fidèles de Patrice Talon ? Rien n’indique qu’ils sont sur la sellette. Le premier, à 80 ans, reste l’homme de l’ombre du chef de l’Etat ; celui qu’il consulte le plus. Le second, homme d’affaires prospère, « véritable numéro 2 du pays » selon les murmures qui bruissent à Cotonou, suit Patrice Talon depuis une quinzaine d’années. Le troisième, enfin, présenté comme la « tête pensante » du président par Jeune Afrique, a une place centrale dans le système présidentiel. A priori, rien à craindre. Sauf que, pour rappel, rien ne préparait l’ancien préfet du Littoral, « favori du roi », à une telle fin (politique).
Une question, dès lors, se pose : le cas Modeste Toboula restera-t-il sans lendemain ou, au contraire, servira-t-il de précédent ? Patrice Talon enverra-t-il au casse-pipe d’autres de ses conseillers, se servant ensuite de son bras judiciaire pour les descendre publiquement ? Quoi qu’il en soit, il n’est pas interdit de penser que le verdict de la CRIET, contre M. Toboula, a jeté un froid dans les travées de la présidence. Où chacun, dorénavant, peut se demander s’il « sera le prochain ». Un climat de paranoïa aiguë, peu propice à la conduite des affaires. Mais serait-ce un mal de voir la présidence claudiquer, elle qui a vraisemblablement perdu la tête, après son OPA sur le pays ?